Matière
Plus qu’une simple inspiration, la nature m’est aussi matière et abondance de matières. Je travaille avec des photographies, images et objets divers en privilégiant toujours le monde végétal où tout, par l’utilisation de techniques millénaires, peut être transformé en un entrelacement de textures, de couleurs, de formes, d’odeurs, apte aux subtiles épousailles entre utilité, esthétisme et expression qui caractérisent mon travail.
Éthique
Par ma pratique, je suis donc amenée à vivre aux rythmes de la nature et des matières que j’y cueille avec modération, d’une manière éthique et responsable qui en favorisera le renouvellement constant, tout en assurant la pérennité de l’écosystème. Avec un grand souci du respect de l’intégrité du territoire, j’inscris mon travail dans une philosophie du « sans traces » qui imprègne toutes mes interventions en milieu naturel; qu’il s’agisse de « land art », d’œuvres in situ, de cueillettes de matières aussi bien que des jardins où je cultive certaines variétés et qui sont toujours prêts à retrouver rapidement leur état d’origine.
Par la transmission de mes valeurs et connaissances, je m’inscrire dans une longue tradition d’échanges et de partages.
Variétés
De nombreuses essences végétales indigènes, ou devenues sauvages par adaptation, peuvent être simplement cueillies. Ainsi, j’utiliserai selon leurs affinités particulières et leur disponibilité en proximité sur les différents territoires où je suis appelée à travailler : saule, cornouiller, vigne, scirpe, algue, prêle, écorces diverses (cèdre, bouleau, mélèze…) ou encore feuilles (quenouille, iris…) etc. Un riche patrimoine de plantes que je déclinerai souvent dans mes œuvres en les y inscrivant en lien avec les territoires de cueillettes, avec la spécificité de leurs odeurs et leur relation aux divers usages qu’on retrace dans les histoires comme dans l’Histoire.
Au-delà de toute considération éthique ou historique, mon travail se définit aussi par l’utilisation esthétique d’une palette végétale qui étonne souvent par la richesse des coloris et textures qu’elle procure à mes œuvres.
Culture
Une autre manière de m’approvisionner en matières est d’en faire moi-même la culture. Il s’agit là d’un choix exigeant qui implique bien plus que d’initier une plantation; il faut vivre en harmonie à long terme avec les nécessités de soins, nourritures organiques, protections contre les prédateurs, mammifères, rongeurs ou insectes; tout en établissant des stratégies de gestion responsable et écologique entre rendement et préservation à long terme des écosystèmes investis.
Au rythme des saisons, dans mes jardins de saules appelés Salicetum, j’observe avec assiduité l’évolution plus de 350 arbustes-arbres, réunissant quelques 20 à 25 variétés différentes, répartis dans divers espaces afin de respecter une densité harmonieuse et non dommageable envers l’écosystème immédiat. Couleurs, grandeurs, calibres divers me permettent d’obtenir une variété de tiges à travailler qui répondront à une panoplie de techniques et d’usages.
Nomadisme et matières
Lors de résidences de création en sol étranger, je considère comme un grand privilège de pouvoir explorer un territoire aux accents à la fois paysagers et historiques différents de celui qui nourrit ma pratique courante.
Ainsi, au Japon, j’ai eu l’honneur d’être initiée à la cueillette du bambou ainsi qu’aux savoirs et techniques séculaires de son utilisation à la fois utilitaire et de haute voltige artistique, grâce à des classes de maître des vanniers Tanabé, dits « trésors nationaux de 3eet 4e génération ».
En France, outre la découverte de pratiques relatives à des matières propres aux différentes régions (par exemple la ronce qui est en Vendée d’un calibre nettement supérieur à celle qu’on trouve au Québec), j’ai eu la surprise de pouvoir échanger sur le tressage de matières non indigènes, mais bien implantées et intégrées telles les palmiers. J’ai ainsi eu le plaisir de partager, avec les artistes et le public, nos connaissances et techniques du tressage de rameaux de palmes. Et ce en reconnaissant, comme une matière première immatérielle, l’Histoire et les symboliques spirituelles universelles, entre hommages et reliques, souvent liées à l’utilisation des végétaux
Je pourrais aussi parler, plus près de mon territoire et pourtant fort différent, des Îles-de-la-Madeleine où j’ai cueilli le scirpe avec toute la circonspection nécessaire à la protection de ce territoire si particulier et fragile; et où j’ai intégré les algues rejetées par la mer à ma pratique.
Où que je sois, je me considère comme une apprentie de la nature, désireuse à la fois de la célébrer et de m’y insérer avec le minimum d’impacts à long terme sur le territoire. C’est ainsi que, « du mieux que je puis »1, je respecte les territoires que j’investis et habite aujourd’hui ainsi que les valeurs séculaires de leurs premiers occupants.
1- Devise inscrite sur les armoiries familiales des Levasseurs, jadis sculpteurs sur le territoire de la Neuve France.
Reconnaissance territoriale
Je tiens à rendre hommage au peuple Anishinaabe, gardien traditionnel des terres où se trouve mon lieu principal de création et de partage artistiques. Je reconnais le lien sacré de longue date l’unissant à ce territoire, qui demeure non cédé. Je rends aussi hommage à toutes les personnes autochtones qui habitent ce territoire, ailleurs au Québec et au Canada. Je reconnais ces gardiennes et gardiens des savoirs traditionnels et honore aussi leurs dirigeantes et dirigeants d’hier, d’aujourd’hui et de demain; leur indéniable courage et résilience.