Au Pied du mur
Le moment de l’œuvre (extraits)
Vie des Arts (no 214 printemps 2009)
Adossées à un mur contournable qui divise l’espace de la salle, trente-deux sculptures de vigne tressée, évoquant des œufs ou des pierres des champs, s’empilent en un muret quelque peu inégal, donnant une vague impression d’inachevé. Des sacs à ordures noirs, à moitié fripés à moitié torsadés, calés entre les pierres, servent de liant à la lumière aussi bien qu’aux formes empilées. L’installation de Nathalie Levasseur a du graffiti le mur et la fébrilité. L’œuvre est brute, sans repères que ceux, comme abandonnés sur place, d’un passage : un sac orange vide, par terre, à côté un bout de papier griffonné qu’on lira peut-être. Dommages collatéraux du vivant. À nettoyer. Plus tard.
Flottante, une trame sonore, frottements et froissements errant dans leurs propres hésitations, instaure une mémoire imprécise du lieu. Sur le mur opposé à l’installation, un véritable mur celui-là, 14 photographies de Thomas Dufresne, remarquables d’urgence, nous disent que nous avons peut-être confondu l’entrée et la sortie. Que l’œuvre est dans la construction de l’œuvre.
Nous entrerons par cette porte.
En nature comme en galerie, par son travail in situ aussi bien que par ses sculptures additives, Levasseur nous a habitués à la beauté. Simplement, sans séduction, parce que la beauté est un discours en soi. Cette fois pourtant, c’est sur l’exigeant parvis de la création que nous a convié l’artiste. Littéralement.
Trente-deux sacs à ordures, noirs, pleins, jonchent le sol de la galerie
(…)
Tout se confond. L’œuvre est l’acte de créer. Le propos environnemental est la matière. La symbolique navigue dans la forme entre l’œuf et le mur. Symbolique féminine s’il en est, l’œuf s’omniprésente chez cette artiste comme la forme privilégiée de la puissance et de sa corollaire fragilité.
(…)
Car l’œuvre est aussi le sac orange, celui des matières compostables dont nous faisons partie, abandonné au pied du mur avec le bout de papier qu’aurait pu, avec un peu plus de temps ou une plus longue mèche, signer Pierrot le fou. L’œuvre est aussi la détonation de ce sac kamikaze secoué par la douleur, l’incompréhension ou la peur. L’œuvre est aussi la respiration panique devant ce nouveau mur qui ne fait que déplacer vers la beauté l’amoncellement à nettoyer, une fois de plus, plus tard. Alors l’œuvre est aussi les photographies de Thomas Dufresne et la video fébrile de Michel Depatie, tournée à vif, traquant la lumière et le son pour détailler le geste dans ses intentions spontanées. L’œuvre est les regards sur l’œuvre. Car tous propos confondus, c’est bien ici que nous a conviés Levasseur: au pied du mur. Au moment polysémique de l’œuvre.
Gilles Matte
Chroniqueur d’art