Conscience et Racines
Conscience et Racines
Un musée de l’imaginaire
À l’intersection des logiques contradictoires qui gouvernent et bouleversent nos sociétés actuelles, l’art explore les espaces interstitiels dans une volonté de briser les frontières entre le fictif et le réel, entre le privé et le public. Certains artistes habitent des lieux du quotidien, investissent à rebours des espaces anonymes et engagent des expériences intimes dans l’espace public. Avec l’exposition-résidence Conscience et Racines, Nathalie Levasseur transforme l’espace impersonnel de la galerie en un espace de vie fictif et habitable, à l’image du confort intérieur d’une maison. Originaire de la région de Victoriaville, l’artiste réinvente les mémoires de sa propre histoire et nous convie à des rencontres insolites entre divers objets, souvent issus de son patrimoine familial : aux côtés de véritables mobiliers, on peut entre autres apercevoir une chaise détournée de sa fonction usuelle, au-dessus de laquelle flottent six fonds tressés, ou encore des images photographiques d’une maison suspendues à une corde à linge. Ces objets ainsi empruntés au réel investissent l’espace dans une mise en scène ludique et chargée de symboles. Le visiteur peut facilement faire de cet environement à la fois onirique et domestique le lieu de ses propres souvenirs : une bouteille de vin déposée sur la table, un bol d’arachides, un téléviseur allumé, sont autant de traces qui donnent à l’espace l’illusion d’être habité.
Et si la notion de domicile est liée à l’identité, l’appartenance et la sédentarité, elle devient ici un lieu d’investigation en constante mutation : en effet, les éléments sans cesse permutés, transformés et remplacés au gré des semaines créent des environnements voués au provisoire et à l’éphémère. Une telle délocalisation de l’espace domestique connote, pour l’artiste comme pour le spectateur, une expérience du déplacement liée à une identité nomade et transgressive, toujours en construction. Sous l’apparence d’un simple confort domestique, ce petit musée de l’imaginaire qui se déploie comme un journal intime, exprime une richesse de sens par l’imbrication d’une histoire personnelle à celle que chacun porte en soi.
À ce projet de résidence se greffe la performance rituelle intitulée Les femmes de mon arbre, dans laquelle Nathalie Levasseur réalise 28 oeufs faits de vigne tressée, ensuite installés en galerie. Plus qu’un simple hommage aux femmes de sa famille, cette intervention semble faire ressurgir symboliquement les forces nourricières de la Terre, celle-ci étant liée à de nombreux mythes qui lui confèrent la vocation d’insuffler la vie. De cette relation intime entre l’artiste et la Terre-Mère naît un parcours rituel qui est aussi un parcours de la féminité ; celui de la mère qui porte à la fois le monde et l’enfant à naître. Enfin, sa performance interactive Tresser des liens durables, réalisée dans le cadre du pique-nique vert au Mont Arthabaska, s’inscrit dans la continuité de sa démarche écosystémique, qui défend le caractère indissociable entre nature et culture : le public est invité à poursuivre une longue tresse symbolique conçue à partir de matières d’origine organique, créant un espace nomade propice au dialogue, tel « un long sentier tressé… et sa mémoire portable », comme le précise l’artiste.
Que ce soit par la cueillette d’objets et de matières, de témoignages et de documents d’archives, ou par l’imbrication d’oeuvres antérieures, constamment revisitées dans de nouvelles constructions, le travail de Nathalie Levasseur manifeste une éthique de re-cyclage dans une volonté d’assurer une permanence et un sens de la continuité à travers une cohésion à la fois du passé et du présent, des traditions ancestrales et de la modernité.
Chloë Charce