Mes Racines, Ma terre
Bien avant que l’œuvre ne soit en vue, la forêt est remplie de l’entêtant parfum de galons de résine de sapin baumier, cueillis goutte à goutte, pour servir de laque protectrice aux quelques 300 anciens fonds de chaise, principalement de matières ligneuses, épuisés par le temps et l’usage, qui ont été récupérés puis assemblés en panneaux et suspendus entre les arbres pour former un mur, ouvert en son centre d’un passage. Occupant ce passage, une chaise, en état de décrépitude, fait dos au passant comme une invitation ambiguë à poser son regard, par delà l’ouverture, sur la souche tressée, fantomatique, d’un arbre abattu. Devant chacun des quatre panneaux qui encadrent ce passage, faisant cette fois face au passant, une chaise sans fond attire l’œil sur une photographie la surplombant, transférée directement sur un des anciens fonds de chaise. Bois debout, bois couché, bois mort, bois vivant…
Mes racines, ma Terre propose sémantiquement une réflexion sur la chaise qui est la nôtre, ou que nous choisissons d’occuper, en tant qu’individus parmi les individus végétaux qui nous entourent. Se décolorant et se fragilisant vers le compostage final au fil de son vieillissement, au-delà de toute forme de jugement, l’œuvre, multisensoriellement intégrée à la forêt, d’où elle origine et à laquelle elle retourne, évoque, dans une esthétique du paradoxe, les fondements anthropologiques de l’utilisation de la matière vivante, par l’homme, pour sa survie.
Texte : Gilles Matte, chroniqueur d’art